vendredi 18 mai 2018

10e - Etude d'une "Annonciation" au MBAO


Une belle « Annonciation » au musée des Beaux-Arts d’Orléans
Par Jean-Louis Gautreau

Ecole flamande (fin 15e-début 16e) : L’Annonciation. Huile/bois - 105 x 78 cm.

Provenance 
Ce tableau provient de l’église St-Michel-de-l’Etape, église qui a été transformée en théâtre privé au 19s. ; de ce théâtre, devenu municipal en 1851, ne subsiste que la façade (intégrée à la façade du nouvel hôtel de ville), place de l’Etape à Orléans. 

L’abbé François-Edmond Desnoyers (1806-1902), historien local, directeur du musée historique d’Orléans, et fondateur de la Société archéologique de l’Orléanais en 1848, a fait don de cette œuvre à la ville d’Orléans en septembre 1882. Elle a été déposée au musée des Beaux-Arts en 1967.

Cette « Annonciation » anonyme est l’un des deux plus anciens tableaux conservés dans les collections du musée des Beaux-Arts d’Orléans.
L’autre œuvre, contemporaine de celle-ci, est un tableau de Matteo di Giovanni (1435-95 - école de Sienne) représentant : « La Vierge à l'enfant entre deux anges ». Réalisée sur un panneau de peuplier vers 1485-90, cette peinture, qui montre malheureusement une certaine usure, n’est plus exposée dans la nouvelle présentation des collections.
Bien que contemporains, les deux panneaux appartiennent à deux mondes différents. « L’Annonciation » est encore le reflet de la fin du monde médiéval dans les pays du nord, alors que la « Vierge » illustre la Renaissance italienne.

Plusieurs versions
Le nom du peintre n’est pas connu, cependant plusieurs versions, toutes légèrement différentes, sont exposées dans divers musées : au musée Carnavalet, au musée national du Moyen Age à Paris, au musée du Berry à Bourges, et au musée des Beaux-Arts de Bordeaux 
Le format de la version de Bordeaux est plus carré, et de nombreux détails sont différents : la forme et le décor du vase contenant le lys, le motif gothique de la fenêtre, le paysage en arrière-plan ; le motif du carrelage est plus complexe dans le tableau de Bordeaux ; trois coussins au lieu de deux sont disposés sur la banquette qui est plus longue ; les anges en procession qui accompagnent l’Archange Gabriel, sont plus nombreux, etc.
Quant à l’enluminure du livre de Marie, nous en reparlerons.

Quelques informations techniques
Les Maîtres flamands peignaient exclusivement sur panneaux de chêne, ce bois étant considéré comme de meilleure qualité. Les artistes flamands et hollandais peignaient sur des panneaux de chêne, alors que les Italiens préféraient le peuplier. La toile ne sera utilisée qu’à partir du XVIe siècle en Italie.

Les planches, de petit format, étaient préparées par un menuisier. Les panneaux de grandes dimensions s'obtiennent par l'assemblage de plusieurs planches, chevillées ou à joints vifs ; ils sont consolidés par des traverses.
Le panneau était ensuite encollé de plusieurs couches de colle de peau légère, car plus la colle est légère, mieux elle pénètre le bois. Puis le panneau est encollé d’une toile de lin servant à uniformiser le fond et à empêcher le bois de se dilater ou de se rétracter.
Sur ce support était ensuite apposées plusieurs couches d’un enduit composé de plâtre lisse et fin. Cet enduit était appliqué à chaud. Une fois les couches appliquées et sèches, le support était poncé afin de donner un aspect lisse.

Une fois le bois correctement préparé, on peut y poser la couche colorée. Lébauche était exécutée par un vernis léger mélangé avec de l’essence. L’esquisse était légère mais aussi précise que possible. Lorsqu’elle était bien sèche, l’exécution en couleur pouvait se faire.
Les maîtres flamands ne se servaient que de pinceaux à poils doux (écureuils, putois ou martre) afin de donner l’aspect lisse comme de l’émail.
Leurs couleurs étaient plus liquides que celles que l’on trouve aujourd’hui dans le commerce. Elles étaient surtout très transparentes, alors ils superposaient les couches les unes sur les autres en laissant sécher un bon moment entre chacune d’elles.
Le dernière étape, le vernissage, n’avait pas lieu avant plusieurs mois, voire un an après l’achèvement de l’œuvre. Le tableau était nettoyé, épousseté et verni par un temps sec, et placé au soleil. Le vernis était obtenu par du copal dissout dans de l’huile cuite, ce qui le rendait poisseux et très lent à sécher.

Etude de la composition
La scène se passe dans la chambre de Marie ; un mobilier et une décoration flamande médiévale attirent notre attention.
Les deux personnages principaux sont Marie et l’Archange Gabriel. Ils sont séparés par une tige fleurie de lys blancs déposée dans un vase orné d’un aigle. Le lys apporté par Gabriel est une allusion à la virginité de Marie. Deux fleurs sont ouvertes, ciq autres sont en boutons ; cela fait probablement référence à la Mater Dolorosa, Notre-Dame-des-sept-douleurs (les sept douleurs subies par Marie en relation avec des épisodes de la vie de son fils, selon la prophétie de Siméon).
Marie est agenouillée devant une table sur laquelle est ouvert un livre d’heures enluminé.

L’archange ailé, tient l’attribut des anges, une baguette de l’ostiaire (chargé de la garde du lieu sacré) ; vêtu d‘une robe blanche et d’une riche chape brodée d’or (à la manière flamande), il apparaît à la Vierge pour lui annoncer qu’elle mettra au monde le fils de Dieu. De son index gauche, il désigne le ciel pour indiquer qu’il rapporte la parole de Dieu. Marie, surprise dans sa lecture, semble sous le coup de l’émotion ; elle suspend sa lecture, mais ne se retourne pas complètement vers l’archange. Ce dernier n’apparaît pas seul, il est accompagné d’une procession d’anges provenant de l’angle supérieur gauche du tableau ; le premier d’entre eux soutient son lourd manteau brodé. Le battement de leurs ailes semble soulever une poussière d’or traversée par une lumière de nature divine.
La colombe de l’Esprit-Saint, entouré d’un halo lumineux circulaire, occupe le centre supérieur du panneau. Les lumières divines qui accompagnent Gabriel et le Saint-Esprit, sont complétées par le halo doré qui entoure la tête de la Vierge : ainsi la Trinité est représentée, avec Jésus, l’enfant à venir.
Remarquons que les lignes de fuite du carrelage semblent converger vers la colombe.
Une fenêtre géminée ouvre sur un paysage ; les deux arcades sont ornées de motifs trilobés, mais les éléments décoratifs qui terminent la partie supérieure de la baie appartiennent clairement au gothique flamboyant.
La composition du tableau fonctionne un peu comme une bande dessinée. La scène principale de l’Annonciation est accompagnée d’une autre scène que l’on découvre, à l’arrière-plan, par l’ouverture de la fenêtre : la Visitation. Marie rencontre Elisabeth, sa cousine selon la tradition, qui est enceinte de Jean que l’on appellera Jean le Baptiste, puisqu’il sera amené, quelques années plus tard, à baptiser Jésus.
Deux scènes associées pour deux naissances à venir : deux prophètes dont l’enseignement va bouleverser la vie du monde connu.

Le mobilier est encore gothique : un lit à baldaquin recouvert d’un drap vert occupe un tiers du tableau. Le lit est soigneusement fait, et un oreiller blanc repose sur un traversin. Il est probable que ces deux derniers détails sont là pour souligner la virginité de Marie. Deux coussins brodés de lys d’or sont posés sur.une banquette (peut-être un coffre), couverte d’une pièce de tissu rouge.

Une remarque rapide sur les couleurs. L’artiste a joué sur les couleurs complémentaires : le rouge (le tissu couvrant la banquette et la table), et le vert (le tissu du lit, la tunique du premier ange accompagnateur, et la robe de la Vierge).

Que représente l’enluminure du livre de Marie ?
L’enluminure, ce détail peu lisible du tableau, est difficile à étudier et à interpréter, cependant, il est possible que le sujet de cette image illustre le message de Dieu à Achaz, roi de Juda (Livre du prophète Isaïe, VII, 14-15), selon lequel une vierge donnera naissance à son fils : « Voici, la vierge concevra et elle enfantera un fils, et appellera son nom Emmanuel (qui signifie « Dieu est avec nous »)… (1)
En effet, l’enluminure montre un homme agenouillé et couronné ( ?) qui semble avoir une vision : un enfant vêtu de rouge, qui est peut-être le fils à naître.
Dans son Evangile, Matthieu interprète cet épisode de l’Ancien Testament comme une préfiguration de la naissance de Jésus. Ce sujet serait en accord avec le thème du tableau.
Rappelons en passant que le mot « vierge » (dans le livre d’Isaïe) serait le résultat d’une erreur de traduction qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours…

J’étais assez satisfait d’avoir échafaudé cette interprétation, mais un doute subsistait. Cette histoire était séduisante, mais elle me paraissait trop complexe, trop inhabituelle. Dans les tableaux religieux, les sujets traités et les détails sont généralement assez faciles à interpréter. Et en effet, mon hypothèse était erronée.
Par acquis de conscience, en août 2017, je suis retourné au musée des Beaux-Arts de Bordeaux pour prendre une photo de la version bordelaise de l’enluminure de « l’Annonciation ». En agrandissant la photo de mon appareil numérique, je suis resté stupéfait : l’enluminure était la même que celle du tableau d’Orléans (avec de très légers détails différents), mais comme elle était dans un très bon état de conservation, elle était parfaitement identifiable ; elle représentait : « Dieu remettant les Tables de la Loi à Moïse ». Le doute était enfin levé !

Conclusion
Ce séduisant panneau de dévotion, soigneusement peint, est intéressant car il illustre une pratique assez répandue. Comme le sujet semblait plaire, le ou les peintres ont copié le tableau original qui ne semble pas avoir été identifié, en introduisant de légères et nombreuses variantes dans chacune des versions.

Enluminure du livre d'Heures de Marie (inversé) - version Orléans

L'Annonciation (version de Bordeaux)
Enluminure du livre d'Heures de Marie (inversé) - version Bordeaux


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